Jacques Gorde

Hommage à Jacques Gorde par Michel Rouzière

Les chemins de Jacques passent par l’Afrique et ses couleurs recuites de soleil. Sur des regs asséchés, des silhouettes hiératiques, arpentent la brousse sahélisée. Il exalte la beauté muette et la dignité des femmes et des enfants peuhls quand le monde les regarde sombrer. Il n’y a plus d’arbre pour la palabre, les hommes marchent, poussés par leurs ombres. Leur allure est glissée comma la mélopée des griots mandingues au son des coras. Ce chant ancestral à l’origine du blues, nourrira le Jazz, les musiques d’exil en Amérique.

A New York il peint des façades, des buildings dressés comme des falaises, des rues profondes aux lumières de néons et de parades. Façades de Lisbonne, d’Italie ou bien de Nîmes, aux crépis éclatés de soleil comme des écorces minérales, aux linges tendus, quadrillant les fenêtres : il peint ... Gorde aime la ville, son vacarme, ses ruelles. Il ne peint pas directement l’humain qui pourtant est partout dans son oeuvre, il nous le montre dans ses empreintes, ses traces, ses constructions : immeubles, bateaux ... rituels.

Les chemins de Jacques rencontrent des Taureaux de manade qui combattent au grand air, dans des luttes sauvages, cornes entrechoquées. Le choc frontal soulève des poussières d’ocres brûlés, les mêmes qui à Lascaux immortalisent la course des Aurochs.

Le toro de corrida est un autre fauve pour un autre défi. Le peindre c’est aussi le combattre. Son torero de l’affiche emporté par son mouvement a complètement effacé la bête. Il est tendu par son geste, comme aspiré dans le tourbillon de la charge du toro. Cet assaut viril, propulsé depuis les jarrets, incarne à lui seul chaque temps de la faéna. Chaque muscle, chaque tendon, chaque nerf, participent à l’anatomie du drame. Les couleurs saturées de l’arène semblent tamisées par une mantille : n’en subsiste plus que le rose et le noir, la séduction et le deuil, EROS et THANATOS.

Les chemins de Jacques nous ramènent toujours à l’immensité marine. Méditerranée, plutôt qu’Océan, c’est l’infini à portée de rêverie, un ressac de désirs et d’ailleurs sans cesse renouvelés. Au bout de l’horizon, il y a Venise et ses Palais d’Orient aux fondations fondues par la lagune. La lumière aussi y est mouillée, la brume agit comme une détrempe sur des couleurs rendues infiniment civilisées.

La Venise de Gorde est lumineuse et secrète, festive et grave, inconstante. Les poncifs qui s’y devinent, sont autant de masques, de longs nez destinés à nous perdre dans le dédale des vanités. Sa peinture s’y épanouit, sensuelle et lascive, éclatante d’évidence. Le mystère se niche dans les miroirs des canaux, derrière les portes, les lourds rideaux de velours gaufrés.

L’Oeuvre de Jacques est une brèche patiemment ouverte entre le réel figuré et l’imaginaire conceptualisé. Dans cette recherche identitaire, la couleur peut être violente, la composition acérée, les formats bousculés, le trait - plus ou moins recouvert - constitue une ossature structurante; Le dessin est le trésor de guerre de Gorde, qui lui permet toutes les audaces. Il est aussi son éthique d’artiste qui lui confère sa liberté.

Les chemins de Jacques ressemblent au générique du magazine cinéma-cinémas : Jean-Luc Godard arpente un couloir interminable en ouvrant une à une toutes les pièces. La peinture de Gorde ouvre des portes là où certains les enfoncent lourdement quand elles sont largement béantes.

Sur les chemins de Jacques Gorde, se croise un large public, qui lui est reconnaissant d’être considéré et respecté jusque dans son émotion. Sur ces chemins, nous voyagerons longtemps encore dans l’incessante découverte de ses bonheurs partagés.

Michel Rouzière


(Ce texte a été lu lors du vernissage de l'exposition à la Salamandre à Nîmes)